Professeur Ranya Zoubairi, Médiatrice Culturelle de l’Art et de la Science est une enseignante-chercheuse à Art’Com Sup, membre du groupe Edvantis Higher Education. Autrice du recueil antipoétique “Délires Narquois” et Doctorante au Laboratoire de Littérature, Art et Ingénierie Pédagogique à l’Université Ibn Tofail, où elle prépare une thèse autour de l’esthétique de la subversion dans la littérature et l’art marocains contemporains.
À Art’Com Sup, Pr Ranya Zoubaïri est chargée des cours d’Initiation à la Recherche en Design ; Paysage Culturel et Artistique ; Compétences Culturelles et Artistiques et Développement Personnel et Professionnel. Elle pilote, en amont, divers projets académiques et événements scientifiques, culturels et professionnels, tout en faisant partie du comité éditorial du groupe.
Forte de sa carrière au sein d’établissements d’enseignement aussi variés que contrastés – entre enseignement secondaire public et privé et enseignement supérieur public et privé, ex: Institut Supérieur d’Information et de Communication ; Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle – , Ranya Zoubaïri explore dans ses recherches et dans son enseignement les questions liés, entre autres, à : la diversité culturelle, l’identité, la communication interculturelle, la démocratisation de l’art, le patrimoine culturel, l’art engagé, l’innovation éducative.
Son Riche parcours tout comme sa vision de l’enseignement, sont marqués par un engagement à redéfinir les standards de l’éducation dans un monde en pleine mutation et à questionner les normes sociales, culturelles et esthétiques et leur transgression dans les pratiques et expressions artistiques marocaines contemporaines.
Contactée au sujet de son parcours assez riche et varié, Ranya Zoubaïri a bien voulu nous accorder cette interview et nous parler de son expérience de Médiatrice Culturelle de l’Art et de la Science. L’Interview :
Maroc Diplomatique : En quoi consiste votre travail de Médiatrice Culturelle de l’Art et de la Science ?
Ranya Zoubïri : Permettez-moi de vous décrire cette danse subtile entre Apollon et Prométhée ! Mon rôle est celui d’une équilibriste sur le fil ténu qui relie l’art et la science, deux domaines que notre société moderne s’obstine à cloisonner avec une rigueur
presque comique. Je me vois donc comme cette traductrice simultanée entre le langage poétique de l’art et la rigueur cartésienne de la science, créant des ponts là où certains ne voient que des abîmes.
J’orchestre donc des rencontres improbables entre ces deux univers notamment à travers la mise en place de programmes pédagogiques d’initiation à la recherche scientifique appliquée aux arts, au design et autres disciplines créatives, ou encore à travers l’organisation d’événements culturels qui ressemblent parfois à des mariages arrangés – mais qui finissent souvent en véritables histoires d’amour ! Il y a quelque chose de délicieusement ironique dans le fait de démystifier la science par l’art, et de structurer l’art par la science.
Maroc Diplomatique : Pourquoi avoir choisi de devenir médiatrice à un certain moment de votre carrière ?
Ranya Zoubaïri : C’est une histoire d’amour à trois, si j’ose dire : l’art, la science et moi. Après des années à enseigner et à observer la manière dont nos institutions culturelles excellent dans l’art de l’intimidation intellectuelle – parfois involontaire, souvent systémique – j’ai décidé de devenir cette passerelle que j’aurais aimé trouver plus tôt dans mon parcours.
La médiation culturelle, c’est un peu comme être un Prométhée moderne : on vole le feu sacré de la connaissance pour le distribuer au commun des mortels. Bien sûr, sans la punition mythologique qui va avec – quoique certaines réunions administratives puissent s’en rapprocher !
Mon Master en Pédagogie de la Médiation Culturelle et Scientifique n’était que le début d’une quête plus profonde : celle de démocratiser ces savoirs souvent perçus comme élitistes, de les arracher à leur tour d’ivoire pour les rendre à la rue, là où la vie pulse véritablement.
Maroc Diplomatique : Quelles sont les qualités nécessaires à l’exercice de la profession? Et quels en sont les inconvénients?
Ranya Zoubaïri : Il faut être un peu schizophrène, dans le bon sens du terme ! Avoir cette capacité à parler le langage des chercheurs le matin et celui des artistes l’après-midi, ou les deux à la fois, tout en restant compréhensible pour le grand public. L’empathie est cruciale – non pas cette empathie de façade que l’on enseigne dans les manuels de communication, mais une véritable capacité à se glisser dans la peau de l’autre.
Les inconvénients ? Oh, ils sont nombreux et délicieusement paradoxaux ! On se retrouve parfois à être trop scientifique pour les artistes et trop artistique pour les scientifiques. C’est un peu comme être un électron libre dans un monde qui préfère les orbites bien définies. La fatigue intellectuelle est réelle – imaginez devoir constamment traduire Einstein en Picasso et vice-versa ! Et puis, il y a cette frustration existentielle de voir certains projets échouer non pas par manque de pertinence, mais par simple inertie institutionnelle. C’est comme regarder une supernova s’éteindre avant même d’avoir brillé.
Maroc Diplomatique : Quels sont les éléments communs entre le domaine des arts et celui des sciences qui permettent un tel rapprochement dans la médiation ?
Ranya Zoubaïri : Voilà une question qui fait briller les yeux de tout médiateur culturel ! L’art et la science sont comme deux amants qui s’ignorent, persuadés d’être trop différents pour s’entendre, alors qu’ils partagent une même obsession : décoder l’indicible de notre existence.
Prenez un scientifique dans son laboratoire et un artiste dans son atelier : tous deux sont des explorateurs de l’inconnu, des chercheurs d’or dans les sédiments du réel. La seule différence ? L’un utilise des équations, l’autre des pigments. Mais au fond, ne cherchent-ils pas tous deux à capturer l’essence même de notre réalité ?
L’innovation, cette chimère tant courtisée, naît souvent de leurs liaisons dangereuses. Léonard de Vinci en est l’exemple parfait – cet homme qui dessinait des machines volantes avec la même main qui peignait la Joconde. Aujourd’hui encore, quand l’intelligence artificielle se met à créer de l’art, on ne sait plus très bien qui de la science ou de l’art mène la danse !
Maroc Diplomatique : Quelle nouvelle conception des publics est formulée lors de l’élaboration d’une médiation scientifique réunissant les deux domaines ?
Ranya Zoubaïri : Je souris toujours quand on parle de « public cible » – comme si les êtres humains étaient des cibles à atteindre ! Dans notre approche, nous préférons parler de « co-créateurs de sens ». C’est presque une révolution copernicienne : le public n’est plus cet astre qui tourne autour du savoir institutionnel, mais devient lui-même centre de gravité.
La digitalisation a d’ailleurs créé un magnifique paradoxe : plus nous avançons dans le virtuel, plus le besoin d’expériences tangibles se fait sentir. C’est fascinant de voir comment la science, qui a longtemps été perçue comme froide et distante, devient aujourd’hui le medium même de l’expression artistique. Quand un algorithme permet de créer une exposition immersive, qui est l’artiste ? Le programmeur ? L’algorithme ? Le spectateur qui interagit ? Cette ambiguïté est exquise.
Maroc Diplomatique : Que pensez-vous des débouchés qu’offrent les métiers de la culture ?
Ranya Zoubaïri : La grande question qui fait trembler les parents d’étudiants ! Les métiers de la culture sont comme ces galaxies lointaines : plus on s’en approche, plus on découvre leur complexité.
La précarité ? Oui, elle existe, inutile de le nier. Mais n’est-ce pas le lot de toute profession qui tente de donner du sens plutôt que de produire du profit ? Cependant, le secteur est en pleine mutation. La médiation culturelle devient aussi digitale que physique, aussi entrepreneuriale qu’institutionnelle. C’est un peu comme le big bang : une explosion d’opportunités dans toutes les directions.
Et puis, soyons honnêtes : dans un monde où l’intelligence artificielle menace de remplacer tant de professions, les métiers qui requièrent de l’empathie, de la créativité et une compréhension fine des nuances culturelles ont peut-être un avenir plus radieux qu’on ne le pense. L’ironie serait complète si les « métiers précaires de la culture » devenaient les plus stables dans ce futur incertain !
Maroc Diplomatique : Vous êtes écrivaine aussi et autrice de Délires Narquois ? Pourquoi ce Titre ?
Ranya Zoubaïri : Dans un monde qui se prend désespérément au sérieux, j’ai voulu créer un espace où la folie puisse danser avec la lucidité. L’antipoésie, c’est un peu comme faire de la physique quantique avec les mots : plus on croit comprendre, plus le sens nous échappe.
« Délires Narquois » est né de cette tension entre l’absurdité de notre condition humaine et notre prétention à tout vouloir rationaliser. C’est un pied de nez à nos certitudes, aux normes, aux lignes rouges qu’on nous impose dès le berceau, une valse entre le rire et l’angoisse existentielle. Chaque poème est comme une expérience scientifique ratée et dont les émanations nauséabondes révéleraient accidentellement une vérité fondamentale. Je le dis clairement dans mon avertissement au lecteur : “Mes vers sentent aussi mauvais que les souliers d’un ivrogne pouilleux et pneumonique ! J’y ai sarclé le rythme, torturé la rime, extirpé les cendres des anciens. Mes vers empestent l’indécence, puisqu’ils disent vrai.”
Maroc Diplomatique : Vous avez des projets pour un proche avenir ?
Ranya Zoubaïri : Le premier, et non des moindres, est l’organisation d’un colloque scientifique international qui ambitionne de créer des ponts inédits entre l’art, la science et l’innovation pédagogique. C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur, car
il incarne cette synergie que j’ai toujours recherchée dans mon travail de médiation.
En parallèle, je coordonne, dans le cadre de mes cours à Art’Com Sup, une série de séminaires dédiés à la sauvegarde du patrimoine culturel marocain. L’approche est résolument novatrice : nous utilisons les arts visuels et l’architecture comme prismes de lecture, de documentation et de promotion.
Tous ces projets partagent un même fil conducteur : cette quête perpétuelle de faire dialoguer les savoirs, de créer des espaces où la connaissance peut circuler librement, sans les barrières artificielles que nous avons tendance à ériger entre les disciplines.
C’est peut-être ambitieux, mais comme le disait un certain physicien, l’imagination est plus importante que le savoir – même si, entre nous, un peu de savoir ne fait pas de mal non plus.
Quant à l’écriture, qui reste mon refuge le plus intime, je finalise actuellement un recueil poétique né dans les méandres de la période Covid. C’est une œuvre qui s’est nourrie de nos confinements, de nos errances collectives, une cartographie poétique de nos dystopies contemporaines. J’y dissèque avec une plume parfois acérée les travers de notre société, les mascarades politiques, les contradictions humaines qui nous définissent. Mais au-delà de cette chronique de nos dérives, j’essaye à travers chaque vers de transcender le trivial, de transmuter notre plomb quotidien en or poétique – une tentative d’alchimie verbale, si vous voulez.
En parallèle, je porte un projet de roman particulièrement ambitieux, une expérience littéraire où la physique quantique devient plus qu’une simple métaphore. Imaginez une narration qui défie les lois de la causalité classique, où les événements existent simultanément dans plusieurs états, comme le célèbre chat de Schrödinger. J’explore la possibilité de faire du lecteur un observateur quantique, capable d’influencer le destin des personnages par ses choix de lecture… mais je m’arrête ici, car comme en mécanique quantique, trop observer un système risque d’en modifier l’état.