Le Laboratoire d’Études Juridiques et de Transformation Numérique de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, en partenariat avec la Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et Sociales de Fès, la Commission Régionale des Droits de l’Homme de Fès-Meknès, la Direction Provinciale de la Santé et de la Protection Sociale de Fès et l’Observatoire Marocain des Prisons a organisé samedi dernier un séminaire scientifique national à Fès, réunissant des spécialistes en psychiatrie, psychologie, sociologie, ainsi que des juristes, magistrats et avocats, autour d’un débat de premier plan sur la « politique pénale dans le domaine de la santé mentale et psychologique ».
Cet événement selon un communiqué parvenu à la Rédaction ; a permis d’aborder les défis complexes liant santé mentale et justice pénale.
Selon Said Ouardi, enseignant-chercheur à la Faculté de Droit de Fès et directeur du Laboratoire organisateur, ce séminaire intervient dans un contexte marqué par des crimes graves commis par des personnes souffrant de troubles mentaux, mettant en lumière les lacunes du cadre juridique et des politiques publiques en matière de santé mentale.
Ouardi a rappelé que l’objectif principal est d’identifier les causes profondes de ces actes criminels et de proposer des solutions intégrées, en considérant les auteurs non seulement comme des criminels, mais aussi comme des patients nécessitant une prise en charge médicale et sociale adaptée.
Actuellement, le Maroc se base encore sur le Dahir de 1959, un texte dépassé qui ne répond plus aux exigences constitutionnelles de 2011 ni aux engagements internationaux du Royaume en matière de droits humains et d’accès aux soins.
Santé mentale en milieu carcéral : Vers une approche humaniste
Pour M. Azzedine Chafik, directeur de la prison locale Ras El Ma et délégué régional par intérim de la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR), les soins de santé mentale constituent un droit fondamental pour les détenus. Il a mis en avant les efforts de la DGAPR pour améliorer les services médicaux et psychologiques en milieu carcéral, conformément à la loi 23.10 relative aux établissements pénitentiaires, qui consacre une section entière aux soins de santé.
Parmi les avancées notables ; L’évaluation psychologique systématique des nouveaux détenus, le renforcement du rôle des psychologues dans les prisons, notamment pour le suivi des détenus souffrant de troubles mentaux ou d’addiction et aussi ; l’élaboration d’un guide de référence sur la santé en milieu carcéral, en partenariat avec l’OMS et le Ministère de la Santé et de la Protection Sociale, visant à harmoniser les pratiques avec les normes internationales.
Pour sa part, Mme Ratiba El Ayadi, représentante de la Délégation Provinciale de la Santé et de la Protection Sociale de Fès, a dressé un état des lieux alarmant de la santé mentale au Maroc précisant qu’il y’a moins d’un psychiatre pour 100.000 habitants, un chiffre bien inférieur aux moyennes internationale (1,7) et européenne (9,4), 48,9 % des Marocains souffriraient de troubles psychiques à un moment de leur vie, avec 26 % touchés par la dépression et 5,6 % par des troubles psychotiques et la Stigmatisation sociale persistante, conduisant souvent à des recours inefficaces (charlatanisme) ou à l’errance des malades, pouvant représenter un risque pour la sécurité publique.
Malgré ces défis, des efforts sont engagés avec la création de 123 postes budgétaires alloués en 2024-2025 (dont 34 psychiatres et 89 infirmiers spécialisés) et une stratégie nationale multisectorielle pour la santé mentale à l’horizon 2030, incluant la généralisation des services psychiatriques intégrés et la création d’unités de crise.
A souligner que les intervenants ont unanimement appelé à la promulgation d’une loi moderne encadrant la criminalité liée aux troubles mentaux, en remplacement du Dahir de 1959, conformément à la Constitution de 2011 et aux conventions internationales, la mise en place d’une politique publique dédiée à la santé mentale, visant à garantir un accès équitable aux soins pour les personnes souffrant de troubles psychiques et le renforcement de la couverture médicale en psychiatrie, avec une attention particulière portée à la prévention, la prise en charge et la réinsertion sociale.
A noter enfin que ce séminaire a permis de poser les bases d’une réflexion collective pour une réforme ambitieuse, combinant justice pénale, droits humains et santé publique. Les recommandations formulées seront transmises aux autorités compétentes afin d’engager des actions concrètes pour une meilleure protection des personnes vulnérables et de la société dans son ensemble.